Troupeau décimé, amaigrissement des bêtes... Des éleveurs dénoncent les effets alarmants des éoliennes
Face à la multiplication de cas troublants, une sénatrice de l’Eure interpelle le gouvernement.

Par Éric De La Chesnais et Stéphane Kovacs
Mais qu’est-il arrivé aux chèvres de France et Jean-Philippe Bourgois ? Installés depuis 2008 à Vendegies-sur-Écaillon, dans le Nord, les éleveurs ont vu leur troupeau décimé, il y a quelques mois, sans raison apparente. Y aurait-il un lien avec l’implantation, l’été dernier, de deux parcs éoliens à proximité de la ferme ? Alors que plusieurs éleveurs constatent des troubles inexpliqués au sein de leurs troupeaux, une sénatrice s’interroge sur l’impact des champs électromagnétiques générés par des équipements comme les éoliennes, antennes relais et autres lignes à haute tension. « J’ai moi-même été alertée par de nombreux éleveurs bovins, témoigne Kristina Pluchet, sénatrice LR de l’Eure, elle-même agricultrice. C’est encore, hélas, un sujet trop peu pris au sérieux du fait d’une pression démesurée des opérateurs d’énergies renouvelables. »
Florissante, la chèvrerie de l’Écaillon fournit Rungis, de grandes enseignes, des crémiers, des restaurateurs parisiens. « Mais tout a basculé en août 2024, raconte Lorraine Bourgois, la fille des éleveurs. Il y a d’abord eu de violentes diarrhées, une baisse de 70 % de la production laitière ; 138 chèvres sont mortes en quelques mois. On a fait des tests à n’en plus finir, sans résultat concluant. Ni les vétérinaires, ni les experts n’ont trouvé quoi que ce soit. » L’ensemble du troupeau a dû être remplacé en un an.
Cet hiver, à deux reprises, quelques bêtes sont déplacées chez un ami, à 17 kilomètres. « Et là, mes chèvres qui ne produisaient plus que 0,8 litre par jour, ont retrouvé leur production normale de 2,6 litres ! , détaille Jean-Philippe Bourgois. On s’est aperçu que chez nous, elles ne buvaient pratiquement plus dans l’abreuvoir, car elles prenaient un petit coup de jus en s’abreuvant. J’ai fait venir deux géobiologues qui ont tous deux incriminé les courants vagabonds, dus aux éoliennes. Désormais, on a la contrainte de remplir six bassines en plastique toutes les deux heures trente. » L’éleveur, qui a perdu 120.000 euros, a dû se séparer d’un salarié et doit encore racheter une quarantaine de chèvres pour reconstituer son troupeau. Porter plainte ? « Moralement, je suis déjà très éprouvé, et je n’ai pas envie de me ruiner avec ça, lâche-t-il. J’ai du mal à croire que je vais gagner face aux géants de l’industrie éolienne, même si je sais qu’il y a plusieurs milliers d’éleveurs dans mon cas… »
450 bovins décimés en dix ans
À Puceul, au nord de Nantes, Didier Potiron et sa femme, Murielle, ont constaté que leurs 320 vaches ne voulaient plus venir se faire traire au robot. « Après l’installation, en octobre 2012, d’un parc de 8 éoliennes à 700 mètres de la ferme, progressivement nos vaches ont maigri, raconte le fermier ligérien. D’autres présentaient une baisse d’immunité, provoquant la mort pour certaines. On a perdu 450 animaux en dix ans. Trente expertises scientifiques ont eu lieu sur cette période sans qu’aucune d’entre elles ne donne d’explication convaincante. »
“ Il existe une concomitance entre l’installation du site éolien et les troubles observés sur l’exploitation
Conclusion du Groupe permanent pour la sécurité électrique (GPSE)
Un géobiologue de Brest, mandaté par l’énergéticien allemand Kgal, a constaté que les mêmes rivières souterraines passaient sous les bâtiments et les éoliennes. Selon lui, elles étaient à l’origine de champs électromagnétiques. « Il a installé des dispositifs d’isolement qui ont amélioré la situation, mais pour quelque temps seulement », regrette Didier Potiron. En 2017, les éleveurs ont obtenu que Kgal mette hors tension ses éoliennes pendant 4 jours. « Les passages au robot de traite ont alors augmenté de 143 % et la production de lait de plus de 10 % en 4 jours, rapporte Didier Potiron. Les animaux, plus calmes, ne cherchaient plus à décrocher les instruments de traite. » Après son passage sur l’exploitation, le Groupe permanent pour la sécurité électrique (GPSE), créé en 1999 par l’État pour instruire les dossiers litigieux, financé par les opérateurs électriques, a tiré des conclusions qui vont dans le sens de l’éleveur : « Il existe une concomitance entre l’installation du site éolien et les troubles observés sur l’exploitation. » Mais cela n’a pas été plus loin.
Dans le Pas-de-Calais, un élevage de dindes et de poulets implanté près d’un site de 15 éoliennes a dépéri petit à petit. « Jusqu’au jour ou, après un diagnostic électrique et électromagnétique, j’ai constaté que les poulaillers étaient implantés en zones humides conductrices des fréquences électriques et des bruits de fond émis par les pales, raconte Rémi Tertrais, spécialiste des diagnostics électriques et de la surveillance des élevages, à la tête de la société Detecvel. Cela impactait la croissance de la volaille. J’ai disposé des fils de cuivre sur un côté du bâtiment ainsi que des filtres électromagnétiques anti-harmoniques pour éloigner les mauvaises ondes. » Des méthodes qui peuvent faire sourire, mais qui ont apporté leurs résultats cette fois-ci. « Les poulets ont gagné du poids, 200 grammes chacun, ce qui n’a pas été neutre pour les finances de la ferme, assure Rémi Tertrais. Je suis de plus en plus appelé par des éleveurs inquiets. »
Microdécharges
Face à la multiplication de ces cas troublants, la sénatrice Pluchet s’interroge sur l’impact des champs électromagnétiques générés par des équipements comme les éoliennes, antennes relais et autres lignes à haute tension. « À chaque fois qu’un parc éolien s’implante à proximité d’une ferme, la santé des animaux se dégrade, affirme-t-elle. Ils ont des récepteurs sensoriels beaucoup plus développés que nous, et quand ils vont à l’abreuvoir, ils se prennent des microdécharges. On voit des effets sur la production de lait… Beaucoup d’éleveurs se trouvent aujourd’hui dans des situations catastrophiques. » « Mais aujourd’hui, déplore l’élue, il y a une fin de non-recevoir de la part de l’État. Il faudrait financer une recherche impartiale ! »
“ On voudrait faire de nos agriculteurs des producteurs d’électricité en implantant des éoliennes sur leurs terres
Fabien Bouglé, expert en politique énergétique
Dans une question écrite au gouvernement, déposée la semaine dernière, elle attire l’attention d’Annie Genevard, ministre de l’Agriculture. « Une enquête nationale menée à l’été 2023 et le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), remis en janvier 2024, confirment la persistance de ces situations, souligne-t-elle. Le gouvernement envisage-t-il la création d’un fonds d’indemnisation pour les éleveurs confrontés à des pertes de production du fait de perturbations d’origine électromagnétique avérée ou fortement suspectée ? Plus largement, entend-il reconsidérer la place de l’élevage dans les études d’impact des projets d’énergies renouvelables ? »
Expert en politique énergétique, Fabien Bouglé s’insurge : « On voudrait faire de nos agriculteurs des producteurs d’électricité en implantant des éoliennes sur leurs terres, dénonce-t-il. Malheureusement, dans de nombreux cas, cela a des conséquences terribles sur le cheptel ou l’activité agricole. Il faut cesser ce déni de réalité ! » De leur côté, les époux Potiron continuent leur combat en justice pour obtenir la fermeture définitive du site éolien. Ils ont dû vendre leur ferme à un céréalier venu de l’Yonne, et vivent dans une maison voisine. Madame, devenue électrosensible, ne peut plus travailler. Son mari est désormais salarié agricole, tout comme leur fils, qu’ils rêvaient de voir reprendre leur domaine de Puceul.